jeudi 22 août 2013

Untitled by Lavinie Haala
Chaumont, Pentax Super A



 
 
ICN 541 Genève - Neuchâtel.
Je ne suis pas sûre de me retrouver dans cette ville, je lui écris. C'est vrai, en sortant de la gare, je n'avais qu'une idée approximative du plan des rues. Mais par hasard, et comme toujours à Genève, mes pas me portent vers le pont du Mont-Blanc, le Rhône turquoise et le jet d'eau blanc cinglant sur le ciel anthracite, traversé d'un timide arc en ciel, temps farceur. La vie en transit, dans la vieille ville pavés gris et marronniers, le parc des Bastions, le mur des réformés. Nous partageons un millefeuille et un éclair au café  en rêvant tout haut de voyages alors que l'été n'est pas encore achevé, les moineaux sont trop timides et moi trop têtue. Il y aura encore une librairie dans laquelle je m'attarde en passant l'index sur le dos des folio poche serrés les uns contre les autres comme s'ils se racontaient des secrets, et l'odeur rafraichissante du lac en repassant le pont du Mont-Blanc en sens inverse.
Untitled by Lavinie Haala
Place de la Riponne, Pentax Super A


 
 
ICN 1528 Neuchâtel - Lausanne.
Sur un banc place de la Riponne, face à la fontaine, mon journal Moleskine sur les genoux. Je fume la cigarette de voyage de la main gauche pour continuer à écrire dans le carnet des quais, des panneaux de gares écriture blanche sur fond bleu, des retards, des rencontres et des champs du possible. Un appel d'une fille en débardeur vert d'eau, tout en haut, un balcon au quatrième étage ; quand elle agite la main j'arrive à la voir. Elle me guide jusqu'à son petit appartement. Aubergines grillées, poivrons confits, la tortilla du copain portugais. C'est en piochant dans des mezze colorés que nous racontons ce semestre qui s'est écoulé à un millier de kilomètres, un mémoire à rendre dans la semaine qui vient, des amours improbables, des questions de photographie, et surtout le vol bruyant d'hirondelles qui tourbillonnent gaiment au dessus de la place, la Cathédrale en face, à gauche le château, St-François, le lac et le Mont Blanc caché dans la brume du soir à droite. En-bas, les dealers reviennent, éclats de voix et méfiances. 

jeudi 15 août 2013

Untitled by Lavinie Haala
Lac de Neuchâtel, Pentax Super A



 
RJ 166 Vienne - Zurich. 
Le métro aérien dans le ciel transparent du matin, le métro de matins d'été où je quitte la ville, le même ciel tous les étés. Dans le train glacial on ne se parle pas, étudiants qui rentrent pour l'été, voyageurs distingués, les gens frissonnent dans la climatisation motivée et se réfugient dans leur espace fermé. J'ai sorti Kerouac et des émissions France culture à écouter, je m'adapte à l'isolement collectif en comptant les gares qui me séparent de l'arrivée. Le maillot de bain rangé tout en haut du sac, je n'aurai qu'à l'enfiler pour dévaler le chemin creux qui mène au lac. L'eau turquoise sombre m'enveloppe, son odeur rappelle l'enfance et les années de lycée, la chasse aux crevettes que nous mettions dans un grand seau blanc, avec des galets et des algues, avant de les relâcher dans une crique. Les cris et les éclaboussures, les parties de glissade sur le radeau qui nous essayions vainement de faire couler, la fumée des grillades et les nuages mobiles de moucherons, et en remontant le village, l'ombre des arbres sur les maisons en pierre jaune et le doux ronronnement d'une tondeuse à gazon.
Belgrad by Lavinie Haala
Beograd, Pentax Super A









 
EC 273 Belgrade - Budapest.
Très tôt le matin, le soleil cligne encore des yeux, mal réveillé. Dans la petite gare fleurie de Belgrade, les voyageurs en partance ou en transit sur les bancs vert sombre, à la terrasse du café ou assis en équilibre sur leurs bagages, un sourire endormi. Les français avec qui je partageais le compartiment du train-couchettes me rejoignent, ils sortent une brioche au sucre dodue et parfumée tandis que je déballe des pruneaux et un yaourt. Les gens s'épient, on se demande qui va où, qui prendra la même route. Les Français prennent congé, ils continueront vers Ljubljana – ils prononcent "Loubjana" – dans la matinée, je monte dans mon train, je monte au nord. Neuf heures plus tard, je suis assise sur le parvis de la gare majestueuse de Budapest, mon sac à dos me sert de siège, j'ai sorti mon journal et j'écris à l'ombre de cette après-midi de juillet, au milieu d'autres sac à dos au couleurs franches qui viennent de Serbie et qui tout à l'heure s'engouffreront encore une fois dans le même train que moi, RJ 42 à destination de Vienne.

mardi 6 août 2013

Az országház by Lavinie Haala
Budapest, novembre 2010
Canon 400D


   
D 293 Belgrade - Sofia.
Je suis seule, débardeur marin et jupe chocolat, cheveux désordonnés qui chatouillent mes épaules. J'ai pris le chemin défoncé qui mène au centre ville, passé sous le pont à la chaussée crevée de trous et de flaques, traversé le chaos de ce rond-point généreux, longé la route pavée, petites ruelles de traverse où les maisons dorment derrière de jardins fleuris, tonnelles de vigne folle sous lesquelles on fait la sieste avec un verre de menta glacée. J'ai passé sous les fils électriques en guirlande, caressé un chaton sauvage. Sur le boulevard Levski, le monsieur du magasin de photo me fait un signe de tête, mais je n'ai plus de pellicule à faire développer. La cathédrale Nevski sommeille comme un chat au soleil, les pavés jaunes se tassent sous le soleil et je marche, seule, débardeur marin et jupe chocolat. Au pied de la statue face au parlement, j'essaie quelques notes de Schubert sur le piano à queue blanc, mais il me faudrait les partitions. Je longe les jardins de Borisov, un étudiant en chemise rayée bleu et taupe me rattrape, il faut que je lui raconte pourquoi je suis ici seule, ce que je fais à Sofia, pourquoi le volontariat, je le quitte trop vite, j'ai rendez-vous avec Eli à Orlov Most, je ne saurai jamais qui il est, ni pourquoi il a eu besoin de parler avec moi. Ce garçon est la métaphore de ce pays qui m'émerveille et me fascine, et qu'il faut quitter sans avoir eu le temps de le connaître.