samedi 29 juin 2013

Untitled by Lavinie Haala
Pentax Super A / Ilford 125

J'étais debout dans le métro de huit heures, celui des gens mal réveillés, les rames qui précèdent transportent les habitués aux horaires matinaux, mais le métro de huit heures, c'est celui qui berce des corps qui portent le souvenir de la chaleur des draps, celui qui sent le café et l'encre fraîche des journaux, celui des sourires endormis, des cheveux en épis et des voix encore mal posées. Le métro des gens pour qui le petit matin a encore un goût de nouveauté. Aujourd'hui j'ai 26 ans, il est à peine huit heures passées et je suis un peu en retard pour mon cours de direction, M. sera la première à me le rappeler, en ajoutant dans son message qu'il faut que j'essaie de diriger ma pièce vers la fin, parce qu'elle est très en retard elle aussi. En demi-cercle derrière nos pupitres, quelqu'un chuchote un joyeux anniversaire et en sortant du cours, ils sont là, à chanter à quatre voix et dans toutes les langues qui leurs viennent à l'esprit. Devant le conservatoire, je raconte à M. que mon professeur de piano m'encourage à passer le concours d'entrée pour les classe de diplôme d'enseignement de piano, et sans me laisser le temps de lui dire que j'ai des doutes, elle s'écrie je trouverais trop génial que tu le fasses, et de la voir avec son sourire et son enthousiasme, c'est l'évidence, et je m'étonne d'avoir hésité un an avant de prendre cette décision. 
J'ai 26 ans et je viens de guérir du concours de piano raté de mai 2007.
Le délais d'inscription est le jour suivant, midi pile, les téléphones avec mon professeur pour fixer un programme de piano et bientôt, le soir en rentrant du magasin, je m'arrête au conservatoire pour travailler encore  sur des piano à queues désaccordés dans des sous-sols morbides, mais pourtant, en sortant sur la rue dans laquelle le soleil se couche déjà, l'étrange légèreté de l'être, la certitude vole, souriante et apaisée. 
L'été bouge déjà dans sa chrysalide, papillon feu d'artifice qui s'élancera vers l'Est, tout au bout, là où la vie dure un million d'années, chemin perdu et retrouvé.

jeudi 6 juin 2013

Ilford 100

Tu crois que tu es seule à vouloir donner de la substance à ta vie. On est toujours unique. Sept milliards cent trente-cinq millions neuf cent quarante-quarte milles deux cent quarante et un hommes sur une terre vieille de quatre virgule cinquante-quatre milliards d'années, et tu insistes sur ton unicité.

C'est une ville vernie. Tu marches dans des rues bien peignées, raie au milieu, ton immeuble étincelle, tu as un appartement cloné, tes chaises tes tasses tes robes sont formatées pour que jamais tu ne perdes tes repères, H&M et Ikéa, tu es chez toi partout, une vie ouatée une vie d'artifices. Mais un feu d'artifice ne brûle pas longtemps.

Tu as recommencé à glisser des pellicules dans ton Pentax. 
Parce que c'est une ville vernie, une ville sans défauts. Tu marches dans les rues bien peignées, raie au milieu, ton immeuble étincelle sous son maquillage, tes chaises tes tasses tes robes, tu les retrouves dans chaque appartement, sur chaque table, sur chaque fille.
Des taches et des trous dans la moquette décolorée, la douche dans la cuisine et les toilettes sur le palier, en hiver tu allumes le four pour chauffer l'espace glacé. Catégorie D, ton appartement est une verrue disgracieuse dans cette ville lisse, un défaut à cacher, une aspérité à laquelle tu t'accroches. Partout tu cherches les failles, un pavé inégal dont ton pied se souviendra, une fissure dans la façade qui raconte des histoires à tes yeux, un brin d'herbe têtu sur la voie goudronnée.
En revenant du labo, tu tiens dans entre tes mains une pochette en papier pleine de photographies ratées qui palpitent comme un coeur brûlant.

Évidemment, tu es seule à chercher cette substance à travers la pellicule et les tirages ratés. Seule avec tous ceux qui tiennent dans entre leur mains des pochettes de photographies ratées, parce qu'ils marchent dans une ville vernie, sans défauts, avec des rues bien peignées, raie au milieu. Les immeubles étalent fièrement leurs façades étincelantes, leurs chaises leurs tasses leurs robes sont les même que les tiennes.

Nue sous la lumière vide de ce formatage, leur vie réclame de la substance.