lundi 24 février 2014

l'exil et la grâce #1

une table de bois patiné, vieille et
lissée de ses rides par les caresses du petit-déjeuner
darius milhaud a composé un quatuor raffiné, élégant,
ciselé. Mille-neuf-cent-douze, à Paul Cézanne, opus cinq numéro un
des pommes irisées de soleil, des poires –

août sur une table de bois patiné, vieille et
les couleurs terreuses, collantes et poivrées
l'air chaud qui tournoie dans les notes, dans
les fruits et cette odeur de chaleur rassurante comme celle du pain
l'essence du souvenir, l'enfance peut-être –

darius milhaud a composé un quatuor raffiné, élégant et
d'une fraicheur juvénile qui fond comme l'été
des fruits mûrs et sucrés. L'abondance sur les torchons blancs
la maison du pendu, les nageurs, sainte-victoire au loin
des cruches de terre cuite, le silence –

lissée de ses rides par les caresses du petit déjeuner
la table embrasse les vers transparents de jaccottet
semés dans mon sillage avec dans l'eau du temps
mes souvenirs qui flottent sur des bateaux en papier fragiles et incertains
ils créent des mondes, des châteaux vagues –

mille-neuf-cent-douze, à Paul Cézanne, opus cinq numéro un. A l'été
mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf je copiais Cézanne gouache sur papier
en deux-mille-quatorze jaccottet par coeur et à pleines dents
attraper le papillon de la grâce dans l'exil pour vivre partout et encore plus loin
dans un quatuor de milhaud, les étés de cézanne, – et jaccottet.



jeudi 20 février 2014

Cancale 2012
pellicule périmée

La fenêtre est ouverte, ah si vous saviez, le bruissement de la ville au loin, comme le tissu d'une robe de soie superbe et désuète, les mésanges dans l'antichambre du parc qu'est ma rue, la fenêtre est ouverte, Schubert et Poulenc qui s'échappent à travers les rideaux, voiles blanches et gammes par tons, la fenêtre est ouverte, au stylo à bille une esquisse du Cap Fréhel, les champs oranges de Roumanie à l'aquarelle, une église sonne midi. 
Un homme entre par la fenêtre, ah si vous saviez, comme il est beau.

mercredi 12 février 2014


Fleurs de pommier


Un soir fatigué il y a eu une lettre, écriture raffinée sur enveloppe de neige, quelques feuillets rédigés dans les salles de la Sorbonne, un poème sur une carte bordée de tissu fleuri, la délicatesse jusque dans le sachet en mousseline fragile, thé vert et cerisiers en fleurs. Je joue un impromptu, j'éteins les lumières et je m'enroule autour d'un bol au parfum subtil de ce thé du Japon. De l'autre côté de la rue, les fenêtres s'allument, comme les étoiles d'un ciel urbain, il fait silence, juste un bol pour goûter l'amitié. Assise en tailleur sur le canapé, je regarde les constellations danser sur l'immeuble d'en face. La boîte d'aquarelle ouvre ses couleurs sur la table, il y a deux nouveaux pinceaux et du papier à gros grains. Et sur mes lèvres, le souvenir d'un poème d'Apollinaire tombe en pluie fine – il pleut. Écoute s'il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique, écoute tomber les liens qui te retiennent en-haut et en-bas.

mardi 11 février 2014

Rennes, 2012
  

Quand il a été là subitement, j'ai paniqué, et nos vélos côte à côte, ma jupe à pois et son béret, ce feu qui reste rouge et moi qui ai peur de le regarder, feu rouge du sang figé, je fixe ce feu qui ne veut pas changer. Je voudrais que le brouillard m'efface, et ce feu qui reste rouge et son visage que je devine agacé, le hasard fait bien mal les choses, le hasard fait bien mal, au carrefour le feu est rouge et nous nous sommes croisés contre son gré, dans la grisaille d'un matin de janvier, je détourne la tête pour me protéger, les yeux fixés sur le feu rouge, rouge, et son exaspération que j'essaie d'ignorer. Le feu s'effondre dans le vert et mon assurance sur le bitume mouillé.