mercredi 3 juillet 2013

Balgarevo, Bulgarie, été 2006

  
ти знаеш ?
Dans la gare minuscule aux trains qui partent jusqu'au bout de la carte, au petit matin le soleil est déjà chaud sur la jupe beige des étés polonais et des cours de Zopp' du mardi après-midi qui s'étendaient entre deux voilà. Sur le quai 8 Hamburg Altona, j'accompagne un garçon que j'ai trop mal appris à connaître, boucles rieuses et rayures marines, il hisse son vélo blanc et noir dans le wagon, en face de nous le train de Rome entre en gare, quai 9, train-couchettes. Je serre S. fort, parce que c'était bien, malgré les insignifiances du quotidien, et lorsqu'il dira je me suis senti chez moi, ça pique et je tente de raisonner qu'après tout, il n'était que mon coloc. Un garçon qui avait débarqué chez moi dans les neiges têtues de février, grosses chaussures et thé noir, avec qui j'avais parlé de passé colonial et qui, trois jours après, déposait ses valises dans la petite chambre côté cour.

ти знаеш.
Debout dans le soleil de juillet, je regarde le train sortir lentement de la gare, tristesse et impatience se mêlent, l'impatience gagne et trépigne de sentir enfin le poids du sac de montagne sur les épaules, l'excitation de l'inconnu retrouvé et la rigidité du ticket pour le train qui va loin au creux de la main. L'employé au guichet s'inquiétera, vingt-deux heures de train, c'est beaucoup quand-même, mais il ne sait pas les trains de l'est, ceux des compartiments à six et des couloirs toutes fenêtres ouvertes sur l'immensité et la liberté à qui on fait l'amour dans l'ivresse du sentiment d'immortalité. Alors je me contenterai de sourire.

ти знаеш !
Il y a ce goût de juillet qui revient par effluves, l'herbe sèche et dure qui blesse les pieds nus, les vendeuses de feuilles de tabac en fichus au bord de la route, les nuits à la belle étoile au bord de l'Arda, réveillée par le troupeau de chèvres et de moutons qu'un berger mène à la rivière, les banitza chaudes au petit déjeuner, le piano essoufflé de la petite bibliothèque écrasée sous le soleil et les pauses au café sur la place, imate li sok ot kroucha les réveils furtifs avant les autres et s'évader dans la rue déserte pour embrasser le jour qui part travailler, les quarante jeunes filles qui tressent leur longs cheveux ensemble et se jettent dans la mer depuis la forteresse de Kaliakra pour échapper aux assaillants turcs, les frémissements paresseux du soleil sur les étals de pastèques, les vieillards édentés assis au bord de la route, peaux brunes et bérets poussiéreux, qui mâchent des graines de tournesol avec des rides au coin des yeux.